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Après de très longues heures à tenter d’établir des liens entre les mots dévoilés par le code de la Bible au sujet des agents de l’ANGE, Cindy était rentrée chez elle, rompue de fatigue. Son quartier, situé non loin de la base, était l’un des plus sûrs de la ville. Malgré tout, elle utilisait désormais les transports de l’Agence pour retourner à son appartement. Les membres de la sécurité qui la reconduisaient chez elle ne repartaient qu’une fois qu’elle avait franchi sa porte d’entrée.
Cindy n’avait avalé qu’une bouchée, trop épuisée pour mastiquer. Elle avait passé un long moment sous la douche à réfléchir aux propos de Vincent concernant ce nouveau prophète qui faisait fureur aux États-Unis. Rien dans les textes sacrés n’indiquait de quel pays serait issu le Messie lorsqu’il reviendrait enfin sur Terre. « Ce pourrait très bien être Cael Madden », s’entêta-t-elle.
Elle sécha ses cheveux et enfila une nuisette rose, seul vestige de son ancienne garde-robe, persuadée que les reptiliens n’oseraient jamais s’infiltrer chez elle. Assise sur le sofa du petit salon, elle fit ses ongles, incapable de chasser le visage enfantin de Madden de son esprit.
— Il m’obsède trop pour que nous ne soyons pas reliés d’une certaine façon, soupira Cindy.
Elle se demanda si elle devait lui écrire une lettre en changeant son nom, ne serait-ce que pour lui exposer sa fascination pour ses paroles. Cela allait évidemment à l’encontre des règles de l’ANGE, mais était-elle vraiment obligée de tout leur dire ? Ne pas révéler quelque chose équivalait-il à mentir ? Si Madden était réellement le Messie qui allait sauver le monde, était-elle prête à tout laisser tomber pour le suivre ?
— Ma place n’est peut-être pas avec l’Agence, après tout, se dit-elle en rangeant sa trousse de manucure. Depuis que j’y suis entrée, tout va de travers dans ma vie.
Cindy éteignit les lampes et se dirigea vers sa chambre à coucher, espérant que le sommeil lui ferait oublier cette obsession. Le lendemain, c’était son jour de congé, alors elle pourrait dormir autant qu’elle le voudrait. Elle se glissa sous les draps et tenta de fermer les yeux, en vain.
— En réalité, je suis un agent fantôme, se rappela-t-elle. Cédric n’est donc plus vraiment mon patron. Je pourrais quitter l’ANGE n’importe quand.
Elle se cala contre son oreiller et tenta de nouveau de s’assoupir. L’engourdissement du sommeil s’emparait enfin d’elle lorsqu’elle sentit que quelqu’un venait de se coucher dans son dos. Se rappelant des recommandations de son instructeur d’autodéfense, elle se retourna brusquement, agrippa l’intrus par ses vêtements et le balança par-dessus elle en poussant un cri aigu. Avant que son adversaire puisse se relever, la jeune femme brandit la main vers la lampe de chevet et alluma la lumière. Sans perdre une seule seconde, elle adopta une position de combat, à genoux sur son lit. Une tête aux cheveux noirs bouclés s’éleva entre le lit et le mur.
— Océlus ? s’étonna Cindy.
— Cindy ?
La couleur de ses cheveux était différente, mais c’était toujours le même visage auréolé d’innocence.
— Pourquoi m’avez-vous fait cela ?
— Je croyais que tu étais un reptilien !
— Moi ?
— Je suis leur victime préférée, rappelle-toi.
Elle le saisit par les bras et l’aida à grimper sur le matelas.
— Que viens-tu faire ici ? l’interrogea la jeune femme.
— J’avais besoin de votre tendresse et de votre compréhension, mais pendant un instant, j’ai cru que je m’étais trompé d’immeuble.
— Non, non, tu es à la bonne adresse. J’ai seulement appris à me défendre depuis que tu es parti pour Jérusalem.
Il ouvrit la bouche pour la questionner à son tour, mais Cindy l’embrassa en l’écrasant sur le lit.
— Tu m’as tellement manqué, susurra-t-elle.
Ils échangèrent de langoureux baisers avant de se fournir mutuellement plus d’explications. La présence de Cindy dans ses bras apportait à Yahuda autant d’amour que celle du Père, dans laquelle il avait baigné un long moment. « Les femmes ont la même énergie que lui…» se surprit à penser le Témoin.
— Pourquoi n’es-tu pas avec Yannick ? Dieu vous a-t-il libérés de votre mission ?
— Il n’a rien fait de tel. Képhas est toujours à Jérusalem, en train d’ouvrir la conscience de ceux qui viennent le voir. Quant à moi, j’ai été absent pendant un certain temps.
Particulièrement empathique, Cindy ressentit aussitôt sa tristesse, même s’il tentait de la lui cacher.
— Vous êtes-vous disputés ? voulut-elle savoir.
— Oui, un peu, et c’est ma faute.
— Mais vous avez été les meilleurs amis du monde pendant plus de deux mille ans !
— J’ai été envoûté par un démon qui m’a fait commettre des actes blâmables.
— Pas toi aussi !
— Même les Témoins du Père ne sont pas à l’abri des sombres machinations du Mal, je le crains.
— Vincent en a aussi été la victime par deux fois !
— Je sais. Sans doute me suis-je affaibli en lui venant en aide dans l’Éther.
— Une simple mortelle comme moi peut-elle y changer quelque chose ?
— Seul un ange ou un archange peut sauver l’âme d’un messager qui a flanché, et j’ai eu cette chance.
— Alors, pourquoi es-tu ici, ce soir ? insista Cindy.
— Parce que je suis follement amoureux de vous, même si cet amour ne pourra jamais s’épanouir.
— C’est tellement injuste…
— J’aurais voulu vous connaître plus tôt et partager votre vie avant le début de ma mission. Ma seule consolation, c’est de savoir que nous passerons l’éternité ensemble.
— J’imagine que ce ne sera pas tout à fait la même chose… Je veux dire, en tant qu’âmes…
— Nous n’aurons plus de corps, c’est vrai, mais rien ne pourra plus nous séparer.
Cindy avait beaucoup de mal à imaginer comment deux petites flammes arriveraient à se combler mutuellement.
— Dois-tu retourner auprès de Yannick ? demanda-t-elle plutôt.
— Oui, mais rien ne presse. J’ai commencé ma rédemption dans le monde invisible et je veux l’achever dans vos bras.
Il se blottit contre elle, la serrant de toutes ses forces entre ses bras.
— Tu veux me parler de ce qui t’a valu ce châtiment ? murmura Cindy à son oreille.
— Le démon m’a replongé dans mon passé, et je n’ai pas su l’en empêcher. Képhas a bien essayé de me mettre en garde, mais je ne l’ai pas écouté.
— De quel passé s’agit-il, au juste ?
— Avant de devenir un apôtre de Jeshua, je fréquentais des individus peu recommandables. Pour débarrasser la Judée de l’envahisseur romain, nous avions convenu d’assassiner tous les commandants militaires et leurs familles.
— Je ne vois pas comment tu aurais pu récidiver, puisqu’il n’y a plus de Romains…
— Le démon avait déjà choisi des victimes dans le monde moderne, mais il me faisait croire qu’ils étaient des chefs de légion. J’ai même failli tuer un de vos dirigeants de l’ANGE.
— La directrice de Jérusalem ?
Le Témoin hocha misérablement la tête à l’affirmative.
— Je suis certaine qu’elle a compris que tu n’étais pas toi-même et qu’elle t’a pardonné. Moi, je te pardonne.
— Je vous aime, Cindy.
— Est-ce que je pourrais te demander une faveur ?
— N’importe quoi.
— Pendant le peu de temps qu’il nous reste sous cette forme physique, est-ce que tu pourrais me tutoyer comme tu tutoies Képhas ?
— Si c’est important pour vous, oui, je le ferai.
— Pour toi.
— Oui, pour toi.
Maintenant qu’elle savait que son ami ne risquait plus de perdre ses pouvoirs, Cindy lui arracha sa longue tunique. Ils passèrent une longue nuit d’amour sans penser au lendemain. Lorsque la jeune femme se réveilla, au matin, Océlus l’observait, appuyé sur un coude.
— J’aimerais retourner marcher dans le parc avec toi, la pria-t-il.
— C’est bien trop dangereux, maintenant, surtout à cet endroit. La police exerce une bonne surveillance dans cette ville, mais elle ne peut pas être partout. En fait, il n’y a plus vraiment de lieux où nous pourrions être en sécurité.
Yahuda fronça les sourcils en se concentrant profondément. Un sourire illumina alors son visage. Au même moment, la chambre de la jeune agente fut inondée de soleil, la forçant à se protéger les yeux d’une main.
— Qu’est-ce que tu as fait ? s’étonna-t-elle.
Sa vision s’étant habituée à l’intense luminosité, Cindy regarda autour d’elle. Son lit se trouvait sur une plage de sable blanc ! Elle remonta aussitôt le drap jusqu’à son cou.
— Il n’y a absolument personne, ici, la rassura son amant.
— Où sommes-nous ?
— Sur une île déserte.
— Tu en es bien sûr ?
Il l’affirma d’un signe de tête.
— Tu es vraiment merveilleux !
Yahuda prit sa main et l’invita à le suivre en direction de la mer. Oubliant tous leurs soucis, le Témoin et sa belle se baignèrent, coururent sur la plage et se dorlotèrent toute la journée. Le soir venu, lorsque le lit réintégra l’appartement de Toronto, il était rempli de sable.